important

Chaque fois que je la remarque chez un confrère, j’en suis éberluée : comment peut-on s’abolir au profit de son personnage ? Il y a de l’étourderie, je l’ai appris, à en méconnaître la réalité ; ce qu’on représente pour autrui, il faut l’assumer ; d’autre part, si on a des capacités, il est bon de les utiliser, il est légitime, le cas échéant, de s’en prévaloir ; la vérité d’un homme enveloppe son existence objective et son passé ; mais elle ne se réduit pas à ces pétrifications. Reniant en leur nom l’incessante nouveauté de la vie, l’important incarne à ses propres yeux l’Autorité contre laquelle tout jugement se brise ; aux questions toujours inédites qui se posent à lui, au lieu de chercher honnêtement des réponses, il les puise dans cet Évangile : son œuvre ; ou bien il se donne en exemple, tel qu’autrefois il fut ; par ces ressassements, quel que soit l’éclat de ses réussites, il prend du retard sur le monde, il devient un objet de musée. Cette sclérose ne va pas sans mauvaise foi ; si on s’accorde un peu de crédit, pourquoi se retrancher derrière son nom, sa réputation, ses hauts faits ? L’important ou bien feint de mépriser les gens ou prétend à leur vénération ; c’est qu’il n’ose pas les aborder sur un pied d’égalité ; il abdique sa liberté parce qu’il en redoute les dangers.

Simone de Beauvoir, La force des choses (I), Gallimard, pp. 167-168.

Élisabeth Mazeron, 19 déc. 2009

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