réembarque

Nous sommes très solides. C’est vrai. Beaucoup plus solides que nous ne pensons, ou disons l’être. Indéracinablement attachés à notre prétendue présence sur cette planète qui tourne sans en avoir l’air. Nous sommes solides, mais il suffit qu’une lettre — rien moins que d’affaires — tarde à venir se faire déchirer, pour que s’écroule, comme termitée, notre armoire affective. Nous ne changeons pas d’amis comme de chemises, non, mais c’est la note à payer qui nous retient. Note sensible. Car nous souffrons assez peu, avec raison, de salir nos cols de chemise. Mais nos cols d’amitié, quel martyre ; quel salut à l’absurdité de se croire aimé, de croire qu’on aime. Que la susdite lettre arrive enfin, que l’ami avoue avoir été très pris, et allez, on réembarque. Quel jeu de massacre ! Nous nous préparions déjà, insectes que nous sommes, à ne plus devoir compter sur ce compagnonnage, nous avions déjà prévu les sens interdits, les routes désormais impraticables, et puis voilà. Tout est à refaire.

Georges Perros, « Feuilles mortes », Papiers collés (3), Gallimard, pp. 277-278.

David Farreny, 27 mars 2012

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