paralysés

C’est ainsi que vers trois heures, Esti, qui ne cessait de s’occuper de ces obsessions et de surveiller ce qu’il devait faire – feindre tantôt d’être éveillé, tantôt d’être endormi –, essaya d’ouvrir les yeux, essaya de se réveiller, mais n’y parvint pas. Il ne respirait plus. Il y avait quelque chose sur sa bouche. C’était une froide horreur, une serpillière lourde et trempée, cela pesait sur sa bouche, l’aspirait, gonflait de l’intérieur, s’engraissait de lui, se raidissait comme une sangsue, ne voulait pas se détacher de lui. Ne lui permettait plus de respirer.

Il gémit douloureusement, tenta de s’agripper ici ou là, gesticula longtemps. Puis un hurlement bref jaillit de sa gorge. « Non, râla-t-il, non ! »

[…]

Esti, qui ne s’était pas encore remis de l’effroi de ce baiser, et en était si dégoûté qu’il aurait pu vomir tripes et boyaux, contemplait cette scène, haletant.

Il venait d’éprouver le mystère du baiser. Quand les gens sont paralysés par le désespoir ou par le désir, et que la parole ne sert plus à rien, ils ne peuvent communiquer que comme cela, en mêlant leurs souffles. C’est ainsi qu’ils tentent d’accéder l’un à l’autre, aux profondeurs où peut-être ils trouveront un sens et une explication à tout.

Le baiser est un grand mystère. Lui ne le connaissait pas encore. Il ne connaissait que l’amour. Il ne connaissait que les fantasmes. En esprit il était resté vierge, comme la plupart des garçons de dix-huit ans. C’était son premier baiser. Son premier vrai baiser, c’était de cette fille qu’il l’avait reçu.

Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 61.

Cécile Carret, 26 août 2012

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