clos

Londres, où je viens de passer trois jours. Il faisait un beau et tiède soleil d’automne, passagèrement humide. Je ne me rappelais plus qu’à peine la multitude des petits squares à demi privés, entourés d’un railing, dont les riverains seuls possèdent la clé, « interdits aux chiens sauf s’ils sont promenés en laisse par leur maître le long des allées » — petits quadrangles d’automne, secrets, mouillés et rouillés, aussi fraîchement sertis entre les maisons de briques fanées que l’eau du puits cernée de sa margelle. Un morceau de campagne anglaise emblématique a émigré dans Londres, on dirait — de concert avec son chien et sa pipe — à la suite de chaque squire de village exilé dans la capitale : ces petits clos ensauvagés qui sentent le poil mouillé et la litière de novembre n’ont rien d’un « espace vert » insipide et fonctionnel : leur pathétique vient de ce qu’ils sont la parcelle d’une humide et verte patrie emportée à la semelle des souliers par des citadins d’infortune, dont la cité n’a jamais trouvé l’accès du cœur.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, pp. 228-229.

David Farreny, 20 oct. 2014

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