irréfutable

L’enfant, à tout reproche, s’estime en droit de répondre par un « je n’ai pas demandé à naître » devant lequel le père-mère voit se réveiller sa culpabilité, c’est-à-dire sa paternité/maternité. Toute parole d’enfant, quelle qu’elle soit, comporte en cryptogramme ou en anagramme la formule « je n’ai pas demandé à naître ». C’est la réponse de toute irresponsabilité, la proclamation de tous les bourreaux, le slogan de toutes les barbaries. C’est irréfutable. Tout individu devient père-mère, c’est-à-dire coupable, lorsqu’on lui dit ça. L’affaire se corse néanmoins lorsque — c’est le cas de plus en plus fréquent — l’enfant adresse cette réponse à quelqu’un qui, vivant avec lui, n’est pourtant ni son père ni sa mère, à peine son beau-père ou sa belle-mère, plutôt l’homme ou la femme qui vit avec sa mère ou son père. La plupart de ceux-là, certes, réagissent en père-mère légitimes, l’espèce dans son écrasante majorité ne demandant qu’à être coupable, c’est-à-dire génitrice. Mais qu’arrive-t-il lorsqu’à l’enfant qui proclame « je n’ai pas demandé à naître », un adulte soudain froidement répond « moi non plus » ? Il arrive simplement une des intrigues possibles du roman moderne.

Philippe Muray, « 20 juin 1984 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 470.

David Farreny, 23 août 2015

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