nauséeux

J’entends parfois, en passant dans la rue, des bribes de conversation intime, et il s’agit presque toujours de l’autre femme, ou de l’autre homme, de l’amant d’une troisième ou de la maîtresse d’un quatrième…

J’emporte — d’avoir simplement entendu ces ombres de discours humain, à quoi s’occupe finalement la majorité des vies conscientes — un ennui nauséeux, une angoisse d’exilé chez les araignées, et la conscience subite de mon écrabouillement parmi les gens réels ; cette fatalité d’être considéré, par mon propriétaire et tout le voisinage, comme semblable aux autres locataires de l’immeuble ; et je contemple avec dégoût, à travers les grilles qui masquent les fenêtres de l’arrière-boutique, les ordures de tout un chacun qui s’entassent, sous la pluie, dans cette cour minable qu’est ma vie.

Fernando Pessoa, « 11 », Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois.

David Farreny, 10 mai 2024

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