agir

En tant qu’“activité” sentimentale, l’amour se distingue des sentiments inertes, comme la joie ou la tristesse. Ces derniers sont comme une couleur qui teinte notre âme. On est dans l’“état” de tristesse ou dans l’“état” de joie, d’une manière purement passive. La joie, par elle-même, ne contient aucune action, bien qu’elle puisse y conduire. Aimer quelque chose, en revanche, n’est pas simplement être dans un “état”, c’est agir vers l’objet aimé. Je ne pense pas aux mouvements physiques ou spirituels que l’amour entraîne ; l’amour est en soi, constitutivement, un acte transitif dans lequel nous nous évertuons vers ce que nous aimons. Immobiles, à cent lieues de l’objet, alors même que nous ne pensons pas à lui, si nous l’aimons, nous feront sourdre vers lui un flux indéfinissable, de caractère affirmatif et chaud. Nous observons cela clairement si nous comparons l’amour avec la haine. Haïr quelque chose ou quelqu’un n’est pas être dans un “état” passif, comme l’état de tristesse, c’est en quelque façon une action, un terrible action négative, détruisant idéalement l’objet haï. Cette observation qu’il y a une activité sentimentale spécifique, distincte de toutes les activités corporelles et de toutes les autres activités de l’esprit, comme l’activité intellectuelle, celle du désir et de la volition, me semble d’une importance décisive pour une psychologie fine de l’amour. Quand on parle de l’amour, on décrit presque toujours ses conséquences. Avec les pinces de l’analyse, on ne saisit presque jamais l’amour lui-même, dans ce qu’il a de particulier et de distinct de toutes les autres formes de la faune psychique.

José Ortega y Gasset, Études sur l'amour, Payot, pp. 68-69.

Jérôme Vallet, 29 juin 2024

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