adorable

Il suffit d’avoir l’autorité d’une langue ; et ta langue était, en toute liberté d’instinct, de propriété d’individualité et aptitude d’humanité, le français ; langue spontanée plus qu’héritée ; l’unique “habile” à te servir ; pure d’aucun contact ; directe et immédiate ; sans remâchage de langue morte, – (une enfance échappée à tout classique gavage) –, ni contamination d’aucune langue “autrement” vivante. Une langue dont il semblait que la nature t’eût fait le don gratuit ; une grâce déposée dans ton berceau.

Peut-être un peu trop portée au jeu et aux tours d’amusante adresse ; moins soutenue par la méditation qu’animée par l’entretien ; délicieusement impromptue et primesautière ; sans jamais une fausse relancée, un raté dans le renvoi à la volée ; pas un laisser-aller qui ne fût finement délié, ou qui restât sans relevé ; langue moins vigoureuse à la mise en train qu’agile et inépuisable à la repartie ; moins génératrice qu’ingénieuse, moins foncièrement douée d’énergie que sans cesse ravitaillée de verve et refournie d’élan ; langue moins “creusante” que prenante ; faisant toujours face, ne sombrant jamais en elle-même ; bien indifférente à l’origine et à l’identité “magistrale” des mots, mais toute sensible à leurs facultés, à leurs moyens (même de fortune), à leurs aptitudes instantanées, à leur efficacité inopinée, à leurs ressources de surprenante actualité.

Il y en a qui n’écrivent qu’avec des mots-souvenirs, qui ne composent qu’avec des reliques, et dont toutes les images sont des portraits d’ancêtres. Toi, tu improvisais toujours ; tu rendais improviste le simple et le juste. Tu faisais naître la vérité des concours les plus inattendus. Des pires culbutes du calembour elle ressortait ingénue, toute fraîche, pas froissée, candidement souveraine… ; j’avoue : souvent adorable.

Henri Roorda, « À Henri Roorda », Mon suicide, Allia.

David Farreny, 26 oct. 2024

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