paysages

Si l’on trouvait un remède contre la beauté, contre ses tentations destructrices, je serais le premier à me soigner. Je suis trop faible ou victime d’une neurasthénie trop subtile, il m’est difficile de supporter le poids des paysages. Ce ne sont pas les laideurs de la vie, ni les tourments ni les malheurs qui m’ont fait vieillir prématurément, mais des extases épuisantes dans des couchers de soleil solitaires. Ceux-ci m’ont réduit à une convalescence ininterrompue et à une fierté dans la défaillance, à un rétablissement balkanique, à quoi je me suis abandonné dès mon premier instant de réflexion et d’amertume.

Je voudrais assécher toutes les mers pour échapper à cet absolu immédiat et à la perfection mélancolique à laquelle je tends secrètement dans le voisinage de la vanité marine. L’avantage de la mer sur la musique ou sur l’amour est de ne pas être de facture humaine et donc de ne pas tenir dans le cœur. Grâce à ce qui n’est plus humain en moi, je découvre la mer, à mon écoute.

Emil Cioran, « À Jeni Acterian (île de Bréhat, 17 juillet 1938) », Manie épistolaire. Lettres choisies 1930-1991, Gallimard.

David Farreny, 1er nov. 2024

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