rage

 Quand je ne perds pas mon temps en conversations, je le perds en lisant : je lis, je lis, inutilement, pour ne pas penser, pour ne pas voir à quel point je suis enfoncé dans le non-sens. Cependant que les jours s’écoulent et que je ne fous rien, on me presse de tous côtés d’écrire, de publier, et je ne peux ni ne veux me manifester. L’autre jour, on me demande un article pour une revue. Je réponds : plus tard. — On me dit de donner un titre pour qu’on puisse annoncer ma collaboration. — Je ne trouve aucun sujet sur lequel je puisse écrire, fut ma réponse. — Mais, en attendant, je vais quand même sécréter un texte sur la rage.

Emil Cioran, « À Armel Guerne (Paris, 30 novembre 1963) », Manie épistolaire. Lettres choisies 1930-1991, Gallimard.

David Farreny, 1er nov. 2024

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