précieux

Dans la même émission, j’ai entendu aussi Michel Crépu qui ne comprenait pas pourquoi je me coiffais du qualificatif de « nihiliste » alors que tout semblait démontrer le contraire dans mon livre. Pourtant ce récit exprime mon nihilisme mieux que mes essais. Par ce terme je n’entends pas la mystique de la mort et de la destruction, ni ce que Nietzsche définissait comme une fatigue de la vie, ni ce que Heidegger assimilait au triomphe de l’arraisonnement technique du monde, mais, très simplement, comme la vive sensation que tout ce qui existe n’a pas d’être. Je ne dis pas que rien n’existe mais que rien (nihil) n’a d’être, c’est-à-dire de permanence ou de solidité ontologique parce que tout ce qui existe est voué au hasard, au temps et à la mort. Naturellement, de pareille vérité tout le monde est convaincu mais personne n’en veut rien savoir, passant ainsi à côté de ce qui est beau, précieux, rare et prompt à disparaître sans ordre de passage. Compris en cette acception, le nihilisme est une philosophie sentimentale sans illusion et sans espoir, oscillant entre le rire de Démocrite et les larmes d’Héraclite.

Frédéric Schiffter, « février 2016 », Journées perdues, Séguier, pp. 103-104.

David Farreny, 15 déc. 2024

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