auteur : Valery Larbaud
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Addio, cari… C’est curieux, les plaisanteries d’Inga et de ses grandes amies, de ces Femmes damnées : de petites plaisanteries de religieuses, de « bonnes sœurs ». À notre avant-dernière réunion, dans cette grande ville pleine d’appels joyeux, de fleurs et de parfums, chaque matin je répétais plusieurs fois : « Je vais me lever. » Alors elle disait : « Tu vas te lœwer ? tu vas devenir un lion ! Oh, j’ai peur, tu vas me dévorer. » Et elle riait, comme si ce jeu de mots était extrêmement drôle. Ah, oui : la petite fille en elle. C’était bon aussi, ces matins-là. L’été. Les grandes avenues bien ombragées, larges, toutes pleines de l’été et d’une belle vie lente et heureuse. On en voyait trois de nos fenêtres.

Valery Larbaud, « Amants, heureux amants... », Œuvres, Gallimard, pp. 634-635.

David Farreny, 2 nov. 2009
lourd

Prête-moi ton grand bruit, ta grande allure si douce,

Ton glissement nocturne à travers l’Europe illuminée,

Ô train de luxe ! et l’angoissante musique

Qui bruit le long de tes couloirs de cuir doré,

Tandis que derrière les portes laquées, aux loquets de cuivre lourd,

Dorment les millionnaires.

Valery Larbaud, « Poésies de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 44.

David Farreny, 1er avr. 2007
méchanceté

Cela suffit. Cela n’est rien ; une invitation à laquelle on n’a pas répondu, et l’instant passe ; la peine d’avoir fait de la peine à quelqu’un qu’on n’aime pas ; l’intelligence qui voudrait pouvoir accepter davantage ; la vanité qui reparaît sous un nouveau masque ; le geste déjà fait, les paroles déjà dites ; la vieille pitié pour le sot qui affirme, qui réclame conte l’ordre établi, et qui se fâche ; les yeux de l’amour qui vous ont regardé un moment à travers les yeux de quelqu’un, et déjà ce visage se détourne ; le silence des pauvres qui meurent tous les jours pour nous ; le murmure des gens qui prient pour nous dans les couvents… Ah ! ce n’est rien que la petite méchanceté de vivre…

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 247.

Élisabeth Mazeron, 14 juin 2006
médiocrité

D’elle émanait ce qui est peut-être la véritable sagesse de la vie, une médiocrité résignée.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 95.

Élisabeth Mazeron, 14 juin 2006
midi

Ensuite il y eut le rêve de revenir à la maison de notre enfance, et de se retrouver dans le silence ininterrompu des champs et des bois. Midi passe sans commentaires. À La Bourboule, midi était fait de carillons, du silence des rues, et des bruits multiples, contradictoires, de la vaisselle et des repas qu’on servait dans les grandes salles claires, sous les paupières à demi baissées des stores et des tentures à franges. Ici, midi n’est qu’une heure qui sonne, gaiement là-bas dans la cuisine, et à mi-voix, finement, dans la fraîcheur du salon vide. Nous ne savions plus quoi faire. Le ruisseau, les courses dans les bois, c’était un passé trop récent pour que nous eussions plaisir à le revivre.

Valery Larbaud, « Enfantines », Œuvres, Gallimard, pp. 490-491.

David Farreny, 15 avr. 2008
nostalgie

Nostalgie de la femme : une nouvelle crise.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 109.

David Farreny, 24 avr. 2007
orgueil

Oui, il est toujours là. Tant pis ; accommodons-nous de sa présence et tâchons de le rendre de plus en plus subtil (il a déjà maigri de moitié depuis que je le taquine). Éducation de l’orgueil, quel programme ! Cela consisterait à lui donner carrière, à le satisfaire, à le pousser toujours plus avant jusqu’au point où il devient l’humilité et l’intelligence totale. Quand j’aurai le temps, j’essaierai.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 119.

David Farreny, 24 avr. 2007
Parthénope

Oh vite ! les rues au bout les unes des autres, vides, luisantes, fraîches, avec des amoncellements de fleurs, déjà, aux tournants et sous les porches. Surprise ainsi, à cette heure où elle dort encore, Naples n’est plus la ville que connaissent les touristes ; c’est la Parthénope éternelle, celle de l’avenir plutôt que celle du passé, décor permanent pour les scènes de plusieurs siècles ; longues perspectives de façades jaunes, blanches, roses et gris-bleu quadrillées de vert par les volets et les persiennes, de terrasses, de cirques où la lumière est toute seule au centre de sa conquête, de colonnades, de portiques, de statues. Heure vide et comme hors du temps, heure où les palais jouissent en paix de leur ombre, qui tourne lentement à leurs pieds majestueux. Pour la ville, réduite, en cet instant, à sa réalité essentielle, ce jour n’est pas plus le 7 avril 1903 que le 7 avril 1803 ou le 7 avril 2003. Dans un moment ses passants, ses figurants d’un jour, en paraissant dans ses rues et ses places, marqueront la date exacte, l’instant qui est à eux ; mais la ville gardera, au-dessus d’eux, comme un secret, la garantie de durée qu’elle porte dans ses pierres, l’avenir qui est dans son ciment et dans ses pierres, et l’effrayante science de ses ruines futures, peut-être au fond de la mer, ou sous les flots durcis de lave, ou sous ce même ciel…

Valery Larbaud, « Mon plus secret conseil... », Œuvres, Gallimard, pp. 661-662.

Élisabeth Mazeron, 1er avr. 2008
pend

Un prénom, et parfois moins encore : le souvenir d’un profil contre le jour d’une fenêtre, d’une ombre sur le mur d’une alcôve, d’une ligne sinueuse et chaude un instant suivie du bout paresseusement des doigts, d’un corps plongé dans l’eau d’une glace ancienne, trouble et verdie comme celle de ce miroir qui reflète nos visages. L’écho d’une voix, d’un soupir, des bruits presque imperceptibles et du silence même du long éventail de satin noir que celle-ci gardait attaché à son poignet comme une arme inutile, couvrant, découvrant elle-même toute livrée aux regards, aux mains, ou qu’elle balançait, grand ouvert, au vol frais, sur nous gisant au plus obscur d’une chambre bien défendue contre l’après-midi d’été. Un buste incliné sous une chevelure dont la masse se rassemble brin à brin au contour d’une épaule, glisse avec lenteur le long d’un bras, et pend.

Valery Larbaud, « Aux couleurs de Rome », Œuvres, Gallimard, p. 998.

David Farreny, 12 avr. 2011
personnage

Le danger, avec nous autres hommes, c’est que, lorsque nous croyons analyser notre caractère, nous créons en réalité de toutes pièces un personnage de roman, auquel nous ne donnons pas même nos véritables inclinations. Nous lui choisissons pour nom le pronom singulier de la première personne, et nous croyons à son existence aussi fermement qu’à la nôtre propre. C’est ainsi que les prétendus romans de Richardson sont en réalité des confessions déguisées, tandis que les Confessions de Rousseau sont un roman déguisé. Les femmes, je crois, ne se dupent pas ainsi.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 93.

Élisabeth Mazeron, 14 juin 2006
peut

Je me rappelle comme c’était bon de la sentir marcher à mon côté d’un pas long et souple au soleil, sur l’herbe élastique des lawns, à Brighton. C’était avant que rien n’eût commencé entre nous. Comme ce matin, alors elle était en blanc de la tête aux pieds, et la toile un peu raide de la jupe faisait un joli bruit, et la toile souple et mince du corsage laissait transparaître un peu le bras et ce que la chemise haute ne couvrait pas, de la gorge et de la nuque dures. La pensée de tout ce qu’elle peut me donner m’oppresse et m’accable. Je ne sais pas au monde de possession plus désirable. […]

Elle arrive de Vienne, d’où l’été la chasse, et elle espère avoir un peu de fraîcheur en naviguant dans l’archipel dalmate. Son yacht est amarré à Pola et après-demain son automobile doit l’y conduire.

Je lui ai fait visiter Trieste, qu’elle ne connaissait pas. Remonté à pied la longue via Giulia, etc. Puis à Miramar. Nous nous sommes assis sur un talus que faisaient trembler parfois de longs trains noirs. La mer s’anéantissait dans le soleil. En moi un désir grandissait, ne laissait place pour rien d’autre. Un désir précis qui me faisait, du regard, jauger le corps de ma compagne. L’instinct en moi se pensait : je songeais à l’enfant, au mélange de nos vies, au don de ma vie que je voulais lui faire, avec soin, sérieusement. Et continuant à haute voix ma pensée :

« Vous savez, Gertie, comme dit le vieux Whitman :

Ce qui s’est si longtemps accumulé en moi… »

Elle tourna vers moi un visage flambant de chaleur, constata d’un long regard ma force, ma jeunesse et ma chasteté, puis se retourna vers le large en aspirant fortement.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 231.

David Farreny, 24 avr. 2007
rendre

S’éloigner d’elle dans l’espace est surtout un moyen de s’éloigner d’elle dans le temps, dans mon temps à moi, et il s’agit de faire rendre à cet espace un maximum de temps.

Valery Larbaud, « Mon plus secret conseil... », Œuvres, Gallimard, p. 664.

David Farreny, 2 nov. 2009
succincte

Et je contemple les plans de certaines villes de second rang,

Et leur description succincte, je la médite.

Valery Larbaud, « Poésies de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 72.

David Farreny, 10 août 2005
vieillesse

Voici que le soir tombe. J’ai déjà vu tomber ce soir-là quelque part, ou un soir qui lui ressemblait beaucoup ; était-ce à Prague ou à Eupatoria ?

On prépare un bain pour moi. Le bruit de l’eau chaude tombant dans la baignoire, la vapeur qui se répand font toujours passer en moi des images voluptueuses.

J’ai pris mon bain, et j’achève de dîner. Les plats étaient beaux à voir, avec leurs hautes cuirasses d’argent. Je suis content du maître d’hôtel.

Je ne sortirai pas, ce soir. Dehors, les réverbères sont déjà allumés. Je reconnais cette clarté du gaz italien dans la limpidité de la nuit italienne. Rien ne change, et la vieillesse du monde grandit sur moi.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 87.

David Farreny, 24 avr. 2007

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