auteur : André Laude
creusent

Je n’ai pas de nom. Je m’appelle Personne.

Les riches ont l’or,

mes maigres mains creusent le rio.

Mes maigres mains creusent un sillon de mort.

J’ai enterré tant d’enfants que ma mémoire

est une encre sauvage.

Je n’ai plus de mains. Je n’ai plus d’âge.

J’ai la sagesse des grands arbres brisés par les Américains.

Je suis un Peau-Rouge. Jamais je ne marcherai

dans une file indienne.

J’ai très mal au cœur, au sexe, aux entrailles.

Je prie. Je suis Sioux.

Je prie. Je crois à la revanche.

Je suis celui qu’on ne peut pas tuer au cœur de la bataille.

André Laude, « Je m’appelle Personne », poèmes posthumes publiés par la revue « Points de fuite », 1995.

David Farreny, 19 fév. 2004
fils

Ne comptez pas sur moi

Je ne reviendrai jamais

Je siège déjà là-haut

parmi les Élus

Près des astres froids.

Ce que je quitte n’a pas de nom

Ce qui m’attend n’en a pas non plus

Du sombre au sombre j’ai fait

un chemin de pèlerin.

Je m’éloigne totalement sans voix

Le vécu mille et mille fois m’a brisé, vaincu.

Moi le fils des Rois.

André Laude, « dernier poème », Œuvre poétique, La Différence, p. 725.

David Farreny, 21 mars 2002
gong

néant qu’on prend

par petites cuillères

au sortir du bois du sommeil

les murs sont là qui veillent

et jamais ne s’apaise la faim

et jamais ne se tait

le gong de la soif

et les sexes s’enchevêtrent inutilement

et l’homme au ventre plein de métaphores

en regardant la femme qui jouit

entre ses cuisses de feu et de nuit

se répète qu’il existe encore

André Laude, « Roi nu roi mort », Œuvre poétique, La Différence, p. 507.

David Farreny, 1er janv. 2009
lampes

Comme des lessives déchirées par les puissants vents du nord

mes heures tremblent aux fenêtres

Je me répète souvent qu’il aurait mieux valu ne pas naître

je pardonne mal à ces deux sexes noués qui m’ont jeté ici-bas

je ne réclamais pas la peur la frénésie la solitude

la rue barrée par les ombres des hallucinations

la porte qu’on ouvre avec des gestes craintifs en craignant

de trouver dans le couloir sombre la horde de rats assoiffée de sang

Je n’avais rien demandé Je fus malgré moi conçu

Quarante-deux fois l’angoisse a incendié mes tempes

La nuit mes doigts somnambules tressent la corde du pendu

mes yeux sont le repas des gros insectes qui hantent les lampes

Seule la mer berce la douleur

À la pointe de Trévignon je hume le sel et les cargaisons pourries

la lumière des mouettes déchirant l’écume m’allège

Je sais que j’ai payé mes dettes. Je suis blanc comme neige.

André Laude, « Un temps à s’ouvrir les veines », Œuvre poétique, La Différence, p. 333.

David Farreny, 31 déc. 2008
proclamer

je me hurle sous les racines au fond des éviers je me fléchette au plus sombre des cuisines je me démembre dans les ruelles d’Arles ou de Toulouse je me suicide aux vents de l’Atlantique je me tue la peau malade au sel des Saintes-Maries. Je n’ai plus de bouche et j’essaie de proclamer.

André Laude, « Testament de Ravachol », Œuvre poétique, La Différence, p. 223.

David Farreny, 30 déc. 2008
remorqueur

il y aura une fois

une chair qui se dénouera

sans cris ni larmes

cela aura lieu quelque part

Entre deux cailloux secs

Entre l’écorce et l’arbre

Au premier chant des bielles

À l’instant de la dernière cigarette

Il y aura une fois

deux yeux qui rouleront à fleur d’eau sale

vers le grand collecteur

Il y aura une fois l’instant fatal

où je devinerai enfin ce visage réel

si longtemps masqué

par le vol futile de deux ramiers

la sirène émouvante d’un remorqueur Quai de l’arsenal.

André Laude, « Testament de Ravachol », Œuvre poétique, La Différence, p. 231.

David Farreny, 30 déc. 2008

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