Je n’ai pas de nom. Je m’appelle Personne.
Les riches ont l’or,
mes maigres mains creusent le rio.
Mes maigres mains creusent un sillon de mort.
J’ai enterré tant d’enfants que ma mémoire
est une encre sauvage.
Je n’ai plus de mains. Je n’ai plus d’âge.
J’ai la sagesse des grands arbres brisés par les Américains.
Je suis un Peau-Rouge. Jamais je ne marcherai
dans une file indienne.
J’ai très mal au cœur, au sexe, aux entrailles.
Je prie. Je suis Sioux.
Je prie. Je crois à la revanche.
Je suis celui qu’on ne peut pas tuer au cœur de la bataille.
André Laude, « Je m’appelle Personne », poèmes posthumes publiés par la revue « Points de fuite », 1995.
Ne comptez pas sur moi
Je ne reviendrai jamais
Je siège déjà là-haut
parmi les Élus
Près des astres froids.
Ce que je quitte n’a pas de nom
Ce qui m’attend n’en a pas non plus
Du sombre au sombre j’ai fait
un chemin de pèlerin.
Je m’éloigne totalement sans voix
Le vécu mille et mille fois m’a brisé, vaincu.
Moi le fils des Rois.
André Laude, « dernier poème », Œuvre poétique, La Différence, p. 725.
néant qu’on prend
par petites cuillères
au sortir du bois du sommeil
les murs sont là qui veillent
et jamais ne s’apaise la faim
et jamais ne se tait
le gong de la soif
et les sexes s’enchevêtrent inutilement
et l’homme au ventre plein de métaphores
en regardant la femme qui jouit
entre ses cuisses de feu et de nuit
se répète qu’il existe encore
André Laude, « Roi nu roi mort », Œuvre poétique, La Différence, p. 507.
Comme des lessives déchirées par les puissants vents du nord
mes heures tremblent aux fenêtres
Je me répète souvent qu’il aurait mieux valu ne pas naître
je pardonne mal à ces deux sexes noués qui m’ont jeté ici-bas
je ne réclamais pas la peur la frénésie la solitude
la rue barrée par les ombres des hallucinations
la porte qu’on ouvre avec des gestes craintifs en craignant
de trouver dans le couloir sombre la horde de rats assoiffée de sang
Je n’avais rien demandé Je fus malgré moi conçu
Quarante-deux fois l’angoisse a incendié mes tempes
La nuit mes doigts somnambules tressent la corde du pendu
mes yeux sont le repas des gros insectes qui hantent les lampes
Seule la mer berce la douleur
À la pointe de Trévignon je hume le sel et les cargaisons pourries
la lumière des mouettes déchirant l’écume m’allège
Je sais que j’ai payé mes dettes. Je suis blanc comme neige.
André Laude, « Un temps à s’ouvrir les veines », Œuvre poétique, La Différence, p. 333.
je me hurle sous les racines au fond des éviers je me fléchette au plus sombre des cuisines je me démembre dans les ruelles d’Arles ou de Toulouse je me suicide aux vents de l’Atlantique je me tue la peau malade au sel des Saintes-Maries. Je n’ai plus de bouche et j’essaie de proclamer.
André Laude, « Testament de Ravachol », Œuvre poétique, La Différence, p. 223.
il y aura une fois
une chair qui se dénouera
sans cris ni larmes
cela aura lieu quelque part
Entre deux cailloux secs
Entre l’écorce et l’arbre
Au premier chant des bielles
À l’instant de la dernière cigarette
Il y aura une fois
deux yeux qui rouleront à fleur d’eau sale
vers le grand collecteur
Il y aura une fois l’instant fatal
où je devinerai enfin ce visage réel
si longtemps masqué
par le vol futile de deux ramiers
la sirène émouvante d’un remorqueur Quai de l’arsenal.
André Laude, « Testament de Ravachol », Œuvre poétique, La Différence, p. 231.