auteur : Roland Jaccard
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Et puis, de toute manière, il faut mettre en pratique l’art de rompre : avec les autres, avec soi-même, avec la vie. Toutes nos ambitions, tous nos désirs, toutes nos émotions ne sont que des leurres grâce auxquels la comédie tire en longueur sans aboutir à une solution.

Roland Jaccard, Topologie du pessimisme, Zulma, p. 31.

David Farreny, 7 oct. 2024
moment

Je poursuis ma lecture des épreuves de Ivre du vin perdu au François Coppée tout en savourant un espresso. Moment délicieux. Moment que j’aimerais retenir. Parfois, il me semble incroyable de penser qu’un jour je ne serai plus là. Le temps nous est compté ; nous sommes des sursitaires ; et pourtant nous nous abîmons dans la routine comme si nous avions l’éternité devant nous.

Roland Jaccard, « Ce dimanche 12 juillet 1981 », L'âme est un vaste pays, Grasset.

David Farreny, 3 oct. 2024
mystère

À Linz, la seule discipline où Adolf excelle est l’histoire ; elle est enseignée par un professeur pangermaniste, le Dr Léopold Pötsch, auquel il rendra un hommage ému dans son précis pour des temps barbares plébiscité sous le titre Mein Kampf. Ludwig, lui, obtient de très bons résultats en éducation religieuse : d’une certaine manière, la figure du Christ l’accompagnera jusqu’à sa mort. Un Christ qui, cloué sur sa croix, doute de Dieu, doute de l’humanité, doute de lui-même et en arrive dans son désespoir à la conclusion que dans cette farce absurde que nous sommes amenés à jouer, peu importe que nous ayons été bons ou mauvais, vils ou nobles, bourreaux ou victimes, sauvés ou damnés… Peut-être est-ce cela que voulait signifier Wittgenstein quand il répétait : « On ne peut raisonnablement ressentir de la rage, même contre Hitler, encore moins contre Dieu. » Selon la formule consacrée, on tue un homme, on est un assassin ; on en tue des millions, on est un conquérant ; on les tue tous, on est un dieu. Le principal défaut de Hitler, ce nécrophile méticuleux, fut de ne pas travailler comme le Grand Dépeceur dans l’anonymat le plus absolu : sans mystère, pas de séduction.

Roland Jaccard, « Le fantôme de Weininger », L’enquête de Wittgenstein, P.U.F., pp. 15-16.

David Farreny, 6 déc. 2014
pays

J’ai parfois l’impression d’appartenir à une autre espèce. Il m’arrive de me réjouir à la perspective de ma mort : je retrouverai ainsi mon véritable pays. En fait, j’assiste aux spectacles (dans l’ensemble des plus médiocres) que me proposent mes contemporains comme si j’étais déjà mort.

Roland Jaccard, « Ce mardi 12 mai 1981 », L'âme est un vaste pays, Grasset.

David Farreny, 2 oct. 2024
petit

Même le diariste le plus présomptueux en vient à douter de l’intérêt que représentent ces pages envahies par le désarroi des sentiments, par l’absurdité quotidienne, par l’effort, presque toujours vain, de retenir une existence qui va à vau-l’eau. Lorsque le jeune Boswell demande à l’illustre Samuel Johnson s’il valait vraiment la peine de noter dans ses carnets de si « petites » choses, ce dernier lui répondit avec superbe : « Dès lors qu’il est question de l’homme, rien n’est jamais trop petit. » Ce pourrait être le premier commandement du diariste, le second étant : « Nulla dies sine linea », une façon comme une autre de dresser une barrière entre le néant et soi, en s’enfermant dans un cercle qui rétrécit d’année en année, jusqu’à la réclusion totale.

Roland Jaccard, « Les idoles du néant », La tentation nihiliste, P.U.F., pp. 116-117.

David Farreny, 9 déc. 2014
psychanalyse

Mais, plus radical encore que Freud, Wittgenstein saisit immédiatement par où pèche la psychanalyse : elle flatte trop le narcissisme. Les explications qu’elle propose sont d’autant plus attrayantes qu’elles sont à première vue plus choquantes. « C’est peut-être, confie-t-il à l’un de ses amis, le fait que l’explication est extrêmement repoussante qui vous pousse à l’accepter. » Et, plus que quiconque, il est sensible au jeu incessant de la mélancolie et du besoin de consolation, à l’exigence de l’idéal et au besoin d’être trompé, à la dialectique subtile entre la croyance et la désillusion…

Sur le charme des profondeurs, Wittgenstein a cette formule ironique : « Les gens y trouvent un dédale dans lequel s’égarer. » Dans ce type d’explications, le mystère tient lieu de réponse. Plus proche de Kraus que de Freud, il estime que toute la fécondité de la psychanalyse peut être éprouvée à condition de convenir que Freud n’a rien inventé ; la psychanalyse ne relève pas de la science, mais de l’esthétique : Freud ne nous apprend rien, mais nous fait voir ce dont on ne s’était pas avisé jusque-là. Selon Wittgenstein, la bonne explication psychanalytique n’est rien de plus (ni de moins) qu’un tableau réussi. La réaction au tableau est en ce sens constituante de son effet esthétique, puisqu’il résout la perplexité du destinataire.

Roland Jaccard, « Le dicible et l’indicible », L’enquête de Wittgenstein, P.U.F., pp. 52-53.

David Farreny, 6 déc. 2014
stérilité

Ceci que je lis à la FNAC dans la Nouvelle Revue française : « Inventer des mots nouveaux serait, selon Mme de Staël, le symptôme le plus sûr de la stérilité des idées. » Cette citation, par Cioran bien entendu, de Mme de Staël est accompagnée du commentaire suivant : « La remarque semble plus juste aujourd’hui qu’elle ne l’était au début du siècle dernier. En 1649 déjà, Vaugelas avait décrété : “Il n’est permis à qui que ce soit de faire de nouveaux mots, non pas même au souverain. Que les philosophes, plus encore que les écrivains, méditent sur cette interdiction avant même de se mettre à penser.” »

Roland Jaccard, « Ce vendredi 10 juillet 1981 », L'âme est un vaste pays, Grasset.

David Farreny, 3 oct. 2024
tableaux

J’aurais aimé m’approcher de cette lycéenne ; j’aurais aimé reconnaître Van ; j’aurais aimé que le temps fût vraiment aboli. Elle m’aurait embrassé ; je lui aurais proposé d’aller au cinéma Atlantic voir Yoyo de Pierre Étaix ; ensuite, nous aurions peut-être dîné chez mes parents. Comme la mort semble lointaine, invraisemblable, quand elle ne frappe pas ! Comme le passé semble beau quand il est aboli ! Nous nous apitoyons sur des fantômes que nous n’aimions pas et nous ressuscitons les morts pour mieux nous délecter du charme morbide du présent. Ce n’est pas la vie qui est sordide ou attrayante, ce sont les tableaux que nous en tirons. On ne se méfiera jamais assez de la littérature.

Roland Jaccard, « Mon père - Ce mercredi 22 septembre 1981 », L'âme est un vaste pays, Grasset.

David Farreny, 3 oct. 2024
totalement

« Nous cherchons peut-être des oreilles autant que des mots », clamait Nietzsche du fond de sa solitude. Il est plus facile de trouver un sexe qu’une oreille. Si certaines femmes vous donnent l’impression de n’être pas totalement impuissant, d’autres vous donnent celle de n’être pas totalement inintéressant. Ce ne sont hélas ! jamais les mêmes.

Roland Jaccard, « Ce samedi 13 juin 1981 », L'âme est un vaste pays, Grasset.

David Farreny, 3 oct. 2024

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