Le poisson rouge, à l’abri de deux fléaux majeurs : l’ennui et la rage de l’expression.
Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 100.
Ira-t-il jusqu’à rogner
sur ses projets ?
Il ne fait plus rien
de peur d’être distrait
de peur de louper la vie
Et ce n’est qu’acculé par les heures
se liguant puissamment contre lui
qu’il jette
son petit nuage d’encre.
Jean-Pierre Georges, Où être bien, Le Dé bleu, p. 60.
Je me tiens toujours à l’orée
des tournants définitifs
je suis insoucieux du large
et des étoiles des séismes et des holocaustes
j’affronte mon corps en combat singulier
pour des questions de préséance
je ne touche pas aux longues chevelures
je dis « je » pour faire l’Homme
je suis informe alors comme tout le monde
je m’habille.
Jean-Pierre Georges, Où être bien, Le Dé bleu, p. 90.
Prévenez-moi si la vie commence
je ne voudrais pas rater ça
les heures deviennent longues
entre les apéritifs
Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 66.
Ce que j’appelle réalité, c’est ce que je peux atteindre avec le fusil à bouchon de mon esprit.
Jean-Pierre Georges, Jamais mieux, Tarabuste, p. 107.
Seul le chien porte l’attente au niveau de la mystique.
Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 63.
Mon manque d’attention aux autres me condamne à ne demander ni attendre rien. Condamnation bien douce, car les échanges de services m’ont toujours répugné.
Jean-Pierre Georges, Jamais mieux, Tarabuste, p. 9.
Météo mentale du jour : régime d’aversions.
Jean-Pierre Georges, Jamais mieux, Tarabuste, p. 83.
Il est toujours très difficile de se couper de tout. Ne fût-ce qu’un lundi matin, quand toutes et tous, après un café trop fort avalé debout, ayant passé sous le joug une tête bouffie, se sont rués sur manettes et boutons pour que reprenne sans faute le branle absurde.
Le monde non utilitaire en reste comme hébété. Secoué de vrombissements sourds, il fait de la présence ; il dérangerait presque, sa mauvaise conscience est certaine. J’ai pour ma part « en charge » quelques toits de bâtiments publics, un énorme tilleul, et une petite portion de la rive droite du canal du Berry.
Bien sûr ce n’est pas une profession, ni même une activité. Mais je les assure d’une bienveillance, d’une humaine connivence. Deux hectomètres plus loin, quelqu’un d’autre prend le relais. Sans doute une vieille sur une chaise dépaillée, ou bien quelque grand fils trentenaire qu’on dit déficient intellectuel léger.
Jean-Pierre Georges, « En charge », Trois peupliers d’Italie, Tarabuste, p. 20.
Même s’il me fallait réaliser le projet insensé de visiter quelque endroit lointain, même si la démangeaison de partir devenait à ce point irréfrénable que j’en sois à regarder s’éloigner les vaches par la vitre d’un train… Une destination me resterait onirique, à jamais imaginaire, un mirage géographique : Brest !
Jean-Pierre Georges, Jamais mieux, Tarabuste, p. 43.
Quand la nuit fait rage. Fixe la plus proche, la plus scintillante — celle dont tu ignores le nom, parce que tu ignores beaucoup — enfonce de plus en plus fort ta vie dans un canapé à proximité d’une étoile.
Jean-Pierre Georges, Car né, La Bartavelle, p. 72.
Toujours se dire, ce jour est mon dernier jour, cette heure est ma dernière heure, ce repas n’aura pas de suite, cette tumescence est ultime, cet ennui mortel ne reviendra pas, ce cerveau est sur le point d’être définitivement soulagé.
Jean-Pierre Georges, Jamais mieux, Tarabuste, p. 32.
Cerveau : une conscience claire dans un bain de sang.
Jean-Pierre Georges, Jamais mieux, Tarabuste, p. 145.
Champion
de la
détestation
en tout genre
briseur de vie
dont
la mienne
réducteur
de tout ce
qui n’est pas
à ma taille
bulle
ne remontant
définitivement plus
à la
surface
Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 37.
Fini de rire
le temps ne nous ratera pas
la cible
est bien trop grosse
Le givre a pris place
sous le ciel étoilé
il a tout cadenassé
l’air gît pétrifié dans les poumons
l’homme en pyjama appelle
vainement dans la nuit
une bête domestique
Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 56.