Grands, anciens, constants sont les efforts de chacun pour dissimuler aux yeux des autres et oublier le dissimulé en sa propre mémoire. Et, sauf névrose, ou affaiblissement mental, généralement couronnés d’un succès appréciable, intéressant, rayonnant et moteur.
Henri Michaux, « Façons d’endormi, façons d’éveillé », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 513.
Ce que je voyais c’était une grande, belle, énorme terre, une montagne, une multiple montagne apaisée, oui, mais une montagne qui venait de s’exhausser.
Henri Michaux, « Façons d’endormi, façons d’éveillé », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 496.
Ma vie : Traîner un landau sous l’eau. Les nés-fatigués me comprendront.
Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 455.
J’appelais aussi : « Oh ! toi, qui m’es tellement et pour qui je ne suis presque plus rien peut-être, mirage toujours au milieu de mon horizon, visage si beau toujours à distance, combien mon être est dans la misère quand je songe à notre amour. Oh ! non-accomplissement. Je ne sais plus chercher mon bien. Je ne sais plus fuir mon mal. Les terres labourées sont derrière moi. Oh ! comme la pensée de cela est difficile à porter. »
Henri Michaux, « Vents et poussières », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 172.
Celui qui a cru être ne fut qu’une orientation. Dans une autre perspective sa vie est nulle.
Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1064.
Être seul, se débrouiller seul devient un tour de force inattendu… réalisé avec dégoût. Période est venue où la Solitude se paie.
Henri Michaux, « lettre à Vincent de la Soudière (3 septembre 1980) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. LXX.
Et puis quelle action choisir ? Rien ne convient. Il se lève, il se rassoit, il étend le bras, il retire le bras, il se lève, il revient, il marche à grande vitesse de long en large sans s’arrêter (il le peut, quarante-huit heures durant), ou il saute, fait des culbutes, attire à lui la table, repousse la table, attire la table, renverse la table. Ce n’est pas que ça le satisfasse.
Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 135.
Ils prient et bientôt roulent à terre possédés par la déesse Kali ou quelque autre. Ces fidèles sont des gens de bonne volonté à qui l’on a appris telle ou telle pratique et qui, comme la plupart des gens occupés de religion, arrivés à un certain niveau, pataugent et jamais ne vont au-delà.
Henri Michaux, « Un barbare en Asie », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 291.
Un mot encore. Aux amateurs de perspective unique, la tentation pourrait venir de juger dorénavant l’ensemble de mes écrits, comme l’œuvre d’un drogué. Je regrette. Je suis plutôt du type buveur d’eau. Jamais d’alcool. Pas d’excitants, et depuis des années pas de café, pas de tabac, pas de thé. De loin en loin du vin, et peu. Depuis toujours, et de tout ce qui se prend, peu. Prendre et s’abstenir. Surtout s’abstenir. La fatigue est ma drogue, si l’on veut savoir.
Henri Michaux, « Misérable miracle », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 767.
La religion des Mazanites déplaît aux Hulabures et les révolte. Ils se sentent couler dans une vaste infection, quand ils y songent.
Pourtant les Mazanites trouvent leur religion, le chemin évident vers la sainteté et le déploiement naturel de ce qui élève l’homme et compte véritablement en lui. Ils ont d’ailleurs trois cultes. Mais les Hulabures n’en voient qu’un. Un qu’ils détestent.
Les Hulabures font donc la guerre aux Mazanites et souvent avec succès.
Les Hulabures attachent leurs prisonniers de guerre avec un crochet à la langue, un crochet au nez, un crochet à la lèvre supérieure et deux autres petits crochets aux oreilles.
Quand ils ont pu employer de la sorte une trentaine d’hameçons, ils sont fiers et en paix avec eux-mêmes ; la noblesse éclate sur leurs visages. Ils font ça pour Dieu… je veux dire pour Celui de leur nation, pour l’honneur du pays, enfin, peu importe, entraînés par un sentiment élevé, austère et de sacrifice de soi.
Henri Michaux, « Voyage en Grande Garabagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 41.
Tu laisses quelqu’un nager en toi, aménager en toi, faire du plâtre en toi et tu veux encore être toi-même !
Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1042.
Ce fut une épopée de géants. Nous la vécûmes en fourmis. Nous triomphâmes ainsi. Succès par la porte basse.
Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 190.
Les poules ne pondent pas d’œuf. Personne ne pond. Il n’y a pas moyen. Elles les déterrent.
Henri Michaux, « En marge de Qui je fus », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 132.
Parfois on rencontre un immense précipice, mais au-dessus il y a un peu de terre, sur quoi même on bâtit. À Quito, il y a ainsi deux longues quebradas, six mètres de terre superficielle et trente mètres de précipice. Quand il pleut on arrête les tramways et on regarde la terre qui plie. Ça tiendra peut-être encore quelque temps.
Parfois dans une rue, vous entendez un bruit lointain mais net d’eau furieuse ! Vous ne voyez d’abord rien. Vous êtes près d’un petit trou. Machinalement vous prenez un petit caillou et vous le lancez. Il faut, pour entendre le bruit, tellement de secondes que vous préférez partir. Vous vous sentez pris par le dessous, tous vos pas auscultent, vous murmurez en vous d’un ton terne et bête :
Le plancher des vaches… le plancher des vaches…
Henri Michaux, « Ecuador », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 186.
Certes, la durée de la vie humaine est chez nous bien augmentée mais le ralentissement des réflexes avec l’âge reste préoccupant.
Nos vieillards, nous les prolongeons aisément jusqu’à deux cents, deux cent cinquante ans, mais ils se font presque tous écraser dans la rue à cent trente ou cent quarante.
Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 514.