auteur : Emil Cioran
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impropre

La lucidité n’extirpe pas le désir de vivre, tant s’en faut, elle rend seulement impropre à la vie.

Emil Cioran, « De l'inconvénient d'être né », Œuvres, Gallimard, p. 870.

David Farreny, 28 fév. 2024
indolence

Je me suis rendu compte une nouvelle fois de mon incapacité à faire quelque carrière que ce soit, et si ce constat vérifié ne m’attriste pas maintenant, les pénibles surprises qui m’attendent plus tard constitueront une compensation drastique et méritée à mon admirable indolence.

Emil Cioran, « À Ecaterina Săndulescu (Berlin, 29 janvier 1934) », Manie épistolaire. Lettres choisies 1930-1991, Gallimard.

David Farreny, 1er nov. 2024
inexistence

La quantité de vide que j’ai accumulée, tout en conservant mon statut d’individu ! Le miracle de n’avoir pas éclaté sous le poids de tant d’inexistence !

Emil Cioran, « Aveux et anathèmes », Œuvres, Gallimard, p. 1722.

Élisabeth Mazeron, 4 juil. 2005
infaillible

Si on avait une perception infaillible de ce qu’on est, on aurait tout juste encore le courage de se coucher mais certainement pas celui de se lever.

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 994.

David Farreny, 7 mars 2024
infidélité

On dirait que la matière, jalouse de la vie, s’emploie à l’épier pour trouver ses points faibles et pour la punir de ses initiatives et de ses trahisons. C’est que la vie n’est vie que par infidélité à la matière.

Emil Cioran, « Aveux et anathèmes », Œuvres, Gallimard, p. 1023.

David Farreny, 8 mars 2024
Inquisition

Par sa clarté desséchante, par son refus de l’insolite et de l’incorrection, du touffu et de l’arbitraire, le style du XVIIIe siècle fait songer à une dégringolade dans la perfection, dans la non-vie. Un produit de serre, artificiel, exsangue, qui, répugnant à tout débridement, ne pouvait en aucune façon produire une œuvre d’une originalité totale, avec ce que cela implique d’impur et d’effarant. En revanche, une grande quantité d’ouvrages où s’étale un verbe diaphane, sans prolongements ni énigmes, un verbe anémié, surveillé, censuré par la vogue, par l’Inquisition de la limpidité.

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 913.

David Farreny, 1er mars 2024
intensité

Nulle différence entre l’être et le non-être, si on les appréhende avec une égale intensité.

Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, Gallimard, p. 24.

David Farreny, 13 oct. 2006
intruse

Le drame d’avoir un corps, vous le connaissez mieux que personne, mais ce que j’admire chez vous ce sont ces moments que vous évoquez pendant lesquels aucun trouble ne vous atteint : merveilleux détachement qui annihile la mort, laquelle ne fait plus qu’une piètre figure d’intruse.

Emil Cioran, « À Armel Guerne (Paris, 28 mai 1978) », Manie épistolaire. Lettres choisies 1930-1991, Gallimard.

David Farreny, 1er nov. 2024
lâches

Tout acte de courage est le fait d’un déséquilibré. Les bêtes, normales par définition, sont toujours lâches, sauf quand elles se savent plus fortes, ce qui est la lâcheté même.

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 955.

David Farreny, 7 mars 2024
las

Quand on se connaît bien, si on ne se méprise pas totalement, c’est parce qu’on est trop las pour se livrer à des sentiments extrêmes.

Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, Gallimard, p. 193.

David Farreny, 18 oct. 2006
mésaventure

Nos proches devraient prendre soin de mourir à un moment où nous ne traversons pas une période d’atonie. Sans quoi, quel effort pour s’intéresser à leur mésaventure !

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 944.

David Farreny, 7 mars 2024
moi

Ce qui rend les mauvais poètes plus mauvais encore, c’est qu’ils ne lisent que des poètes (comme les mauvais philosophes ne lisent que des philosophes), alors qu’ils tireraient un plus grand profit d’un livre de botanique ou de géologie. On ne s’enrichit qu’en fréquentant des disciplines étrangères à la sienne. Cela n’est vrai, bien entendu, que pour les domaines où le moi sévit.

Emil Cioran, « De l’inconvénient d’être né », Œuvres, Gallimard, p. 1316.

David Farreny, 31 janv. 2013
paroxysme

Tout dépend de tes liens. Or, on ne se fait pas de liens en restant chez soi à lire. Il faut sortir, ne pas manquer de féliciter, de louer, de flatter. Moi qui vis dans un scepticisme particulièrement amer, je me sens très embarrassé par ce genre de gestes. Si je les fais parfois, cela vient d’une pression rationnelle excessivement insistante, qui attise trop dans ma conscience la nécessité d’une orientation active.

Toute ma tragédie se réduit dans le fond à cela : je ne peux plus hiérarchiser les contenus spirituels et les valeurs, de quelque nature qu’ils soient. L’action ou l’inaction, la générosité ou la haine, l’élan ou le désespoir — tout me semble exprimer une même irrationalité que l’on ne peut pas dépasser.

Nous avons déjà parlé toi et moi des nuits sans sommeil, où l’on compte les instants et où, par-delà le désespoir, par-delà les limites de sa résistance, tout semble sur un même plan, insignifiant et nul. Tous les éléments, tous les symboles s’en retrouvent purifiés, l’homme est confronté à l’existence dans sa structure pure, le dualisme entre conscience et réalité s’intensifiant jusqu’à un paroxysme qui n’est rien d’autre que la destruction.

Avec ce genre d’expériences, que vais-je devenir ?

Emil Cioran, « À Bucur Ţincu (Bucarest, 4 mars 1932) », Manie épistolaire. Lettres choisies 1930-1991, Gallimard.

David Farreny, 1er nov. 2024
pédagogie

La pédagogie a tellement infecté l’humanité que les nihilistes eux-mêmes ne peuvent pas vaincre leurs instincts didactiques. Jusqu’aux suicidaires qui veulent nous apprendre quelque chose, n’est-ce pas ?

Emil Cioran, « Personne n’existe », Solitude et destin, Gallimard, p. 408.

David Farreny, 24 juin 2005
pérégrination

Seul le cauchemar de l’histoire nous laisse deviner le cauchemar de la transmigration. Avec une réserve cependant. Pour le bouddhiste, la pérégrination d’existence en existence est une terreur dont il veut se dégager ; il s’y emploie de toutes ses forces, effrayé sincèrement par la calamité de renaître et de remourir, qu’il ne songerait pas un instant à savourer en secret. Nulle connivence chez lui avec le malheur, avec les périls qui le guettent du dehors et surtout du dedans.

Nous autres, en revanche, nous pactisons avec ce qui nous menace, nous soignons nos anathèmes, sommes avides de ce qui nous broie, ne renoncerions pour rien à notre cauchemar à nous, auquel nous avons prêté autant de majuscules que nous avons connu d’illusions. Ces illusions se sont discréditées, comme les majuscules, mais le cauchemar reste, décapité et nu, et nous continuons à l’aimer parce qu’il est précisément à nous, et que nous ne voyons pas par quoi le remplacer. C’est comme si un aspirant au nirvāna, las de le poursuivre en vain, s’en détournait pour se rouler, pour s’enfoncer dans le samsāra, en complice de sa déchéance, à peu près comme nous le sommes de la nôtre.

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 924.

David Farreny, 7 mars 2024

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