lexicographe : Cécile Carret
1
3
641
entrées

2
sur 43
reconnaîtra

Nul biographe n’attrapera jamais ces souvenirs flous de coins de rues, de départs d’escaliers, d’ondes de chaleur sur une plage qui constituent pourtant le fond mouvant de notre mémoire ; cette essence sensible de la vie reste inaccessible au biographe, si informé et documenté soit-il, en sorte que tout homme se reconnaîtra davantage en lisant Proust que dans le récit circonstancié de sa propre existence.

Éric Chevillard, « lundi 7 avril 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
offre

Pourquoi avons-nous tant besoin, régulièrement, de voir la mer, si ce n’est parce qu’elle est à la fois changeante incessamment et cependant toujours même, et qu’elle nous offre ainsi – seule à le faire – le repos sans l’ennui ?

Éric Chevillard, « mercredi 12 février 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
existence

On croit que la belle page de l’écrivain est le reflet d’une riche existence, alors qu’elle est cette existence accomplie.

Éric Chevillard, « mardi 4 février 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
y

Étrange lieu que la solitude – sans issue lorsque l’on s’y trouve ; sans accès lorsque l’on n’y est pas.

Éric Chevillard, « jeudi 13 juin 2013 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
compter

Notre intelligence, certes, élucide les énigmes, éclaire les zones d’ombre, démêle les imbroglios les plus complexes, mais tout aussi sûrement on peut compter sur elle pour embrouiller les situations simples et trouver des nœuds dans l’eau.

Éric Chevillard, « mercredi 12 juin 2013 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
bougé

Les vaches n’ont pas l’air d’avoir tellement bougé, à moins qu’après avoir effectué dans notre dos un ballet frénétique, en nous voyant revenir elles aient sagement repris leur position initiale.

Jean Echenoz, « Caprice de la reine », Caprice de la reine, Minuit, p. 25.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
décrire

Ces édifices, dont on ne peut percevoir que des fragments, sont en effet à peine visibles dans la végétation sur laquelle nous allons revenir. Nous devrons en effet y revenir quoique nous aurions peut-être pu, peut-être dû commencer par elle, nous ne savons pas.

Nous ne le savons pas, pour tant qu’il est difficile dans une description ou dans un récit, comme le fait observer Joseph Conrad dans sa nouvelle intitulée « Un sourire de la fortune », de mettre chaque chose à sa place exacte. C’est qu’on ne peut pas tout dire ni décrire en même temps, n’est-ce pas, il faut bien établir un ordre, instituer des priorités, ce qui ne va sans risque de brouiller le propos : il faudra donc revenir sur la végétation, sur la nature, cadre non moins important que les objets culturels – équipements, bâtiments –, que nous essayons d’abord de recenser.

Jean Echenoz, « Caprice de la reine », Caprice de la reine, Minuit, p. 21.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
utilise

J’aurais pu m’acheter un nouveau style-bille, cela ne m’aurait pas coûté plus cher que cette recharge, mais je tenais à celui-ci, je m’y étais attaché, j’aimais bien son profil de torpille ou de roquette, son agrafe ingénieuse, son matériau joliment composite (métal brossé, métal brillant, matière plastique), on le tenait agréablement en main et la mention I (cœur) NY laissait penser qu’il venait du même endroit que mon carnet beige, il n’était pas très beau mais j’y tenais. De plus, il était pratique pour prendre des notes tout en marchant car à bille rétractable, donc plus pratique que le feutre V5 Hi-Tecpoint 0,5 Pilot que j’utilise ordinairement mais dont le capuchon, qu’il faut ôter puis remettre (et qu’on ne sait pas où mettre dans l’intervalle), retarde le mouvement.

Jean Echenoz, « Trois sandwich au Bourget », Caprice de la reine, Minuit, p. 110.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
sec-beurre

[…] le sandwich au saucisson. Il s’agit d’un modèle très courant de sandwich, classique au point d’être désigné sous l’appellation familière de sec-beurre mais qui me semblait, depuis quelques années, moins souvent proposé par les établissements, moins souvent désiré par les consommateurs, au point que l’on pouvait s’interroger sur l’éventualité d’une basse tendancielle du taux de sec-beurre.

Jean Echenoz, « Trois sandwich au Bourget », Caprice de la reine, Minuit, p. 108.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
exemple

Prenons par exemple, assise dans une cellule vide et cubique d’apparence carcérale, une jeune femme nommée Céleste Oppenheim.

Jean Echenoz, « Nitrox », Caprice de la reine, Minuit, p. 87.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
grise

À peine peut-on se dire qu’on est loin, cela grise quelques minutes pendant lesquelles on voit ou croit voir les choses neuves d’un œil neuf : c’est un leurre, un malentendu, car c’est moins une région que l’on découvre que son nom, c’est lui qu’on parcourt plutôt qu’elle. On s’admire surtout de l’occuper, d’arpenter les syllabes exotiques de ce nom plutôt que les panoramas du pays lui-même, qui devient vite à vrai dire un bled comme un autre où l’on ne pense bientôt plus qu’à retourner dans le sien, rentrer chez soi où l’on sait bien aussi d’ailleurs qu’on ne sera pas mieux, bref on n’est guère avancé.

Jean Echenoz, « Génie civil », Caprice de la reine, Minuit, p. 63.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
arc

Mais comme il est arrivé aussi, dans les chaleurs du sud, qu’on manque de pierres parmi les sables, on a inventé la brique pour se construire d’abord des temples et des palais, des remparts et des ziggourats, puis tout naturellement des ponts. Le recours à cette brique permettant de nouveaux équilibres et supposant de nouveaux systèmes de construction, on a fini par imaginer l’arc, quelque sept mille années avant Gluck. L’arc est assurément ce qu’on a trouvé de mieux, ce qui allait tout changer, c’était une invention avec laquelle on était loin d’en avoir fini, il y en a quelques-unes comme ça dans le genre de la roue.

Jean Echenoz, « Génie civil », Caprice de la reine, Minuit, p. 59.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
miroir

C’est en retrouvant le visage d’un autre depuis quelques temps « perdu de vue » que nous prenons parfois conscience d’avoir vieilli. Passé un certain âge, il ne faudrait jamais s’éloigner trop longtemps de ceux ou celles que l’on est destiné à revoir : ils en profitent pour vieillir sans prévenir et ressurgissent soudain comme le miroir indélicat de notre propre décrépitude. On se rassure éventuellement entre intimes plus constamment proches : « Il a pris un sacré coup de vieux… », mais le cœur n’y est pas, on lui en veut presque, on se demande s’il n’est pas malade ; on cherche une explication.

Marc Augé, Une ethnologie de soi. Le temps sans âge, Seuil, p. 119.

Cécile Carret, 21 avr. 2014
extérieur

Nous avons parfois l’impression que l’âge vient d’ailleurs, qu’il nous est extérieur, que les choses ont changé sans nous demander notre avis et que c’est la raison pour laquelle nous ne les reconnaissons pas.

Marc Augé, Une ethnologie de soi. Le temps sans âge, Seuil, p. 107.

Cécile Carret, 21 avr. 2014
composite

Pour ma part, je me sens plutôt « hors d’âge ». Hors d’âge : l’expression utilisée pour les vieux armagnacs dit assez qu’il ne s’agit pas de nier le poids du temps, bien au contraire. Un armagnac hors d’âge résulte de l’assemblage de plusieurs très vieux armagnacs. Un individu « hors d’âge » rassemble plusieurs passés inégalement présents dans sa mémoire, passés recomposés dont souvent les plus anciens ne sont pas les moins tenaces et peuvent lui donner l’impression que sa vie a duré le temps d’un éclair, alors que d’autres, plus récents, mais déjà en voie d’effacement, le persuaderaient aisément d’avoir vécu une éternité, et que d’autres encore flottent dans une brume indistincte à l’horizon de sa mémoire sans qu’il soit en mesure de les situer ou de les dater précisément : « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans », écrit Baudelaire dans Les Fleurs du mal.

La référence à l’armagnac est certes trompeuse. Elle pourrait sembler vouloir suggérer que le mélange des temps aboutit nécessairement à une forme d’excellence, et recréer ainsi les ambigüités propres à la notion d’expérience. Alors que l’expression « hors d’âge » entend simplement ici s’appliquer à la multiplicité des temps présents en chacun de nous à chaque instant et plus encore quand nous essayons de « faire le point » : bien loin alors de trouver dans le décompte minutieux des années écoulées sinon un principe directeur, au moins une orientation générale, le fil irrégulier qui permettrait de suivre le cours du passé et d’en apprécier rétrospectivement la relative cohérence, nous nous trouvons plutôt confrontés, en effet, à une masse composite et mouvante où se mêlent à certains éléments factuels des souvenirs qui sont aussi ceux de nos espoirs, de nos attentes ou de nos déceptions, quelques trous de mémoire qui donnent une étrange inconsistance aux jours passés, la conscience des contraintes extérieures de tous genres qui ont pesé sur notre vie au point de nous faire douter parfois si elle a vraiment été la nôtre, et enfin le pressentiment que notre avenir ne s’ordonnera pas plus à notre présent que celui-ci au passé qui le précède mais lui échappe. En somme, tout le contraire d’un curriculum vitae ou d’un plan de carrière, et parfois l’ombre d’un doute sur notre identité d’individu singulier.

Marc Augé, Une ethnologie de soi. Le temps sans âge, Seuil, p. 45.

Cécile Carret, 21 avr. 2014

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer