Il en tombe. On ne les revoit plus. Il en reste. Il en reste énormément.
Les nouveaux venus. La nouvelle agitation. La nouvelle explication. Nouveaux maléfices.
Criant, ils s’accrochent, ils s’accrochent. Tous, à tout prix, au moins une fois paraître à la terrasse.
À peine sachant lire, déjà empereurs. Des troupeaux d’empereurs.
Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1183.
L’être, un souvenir seulement ; approximatif, fragmentaire, difficilement suscité. L’homme (ce qu’il en reste), un rideau, un mince rideau.
Les rapports avec l’entourage seront pénibles.
Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1172.
Aucune réalité. Seulement leur pirioréalité, leur loloréalité, qui en est une tout à fait fausse, toute morlofausse. Par une extension maligne arriver à englober et diluer et dénaturer le monde entier qui désormais échappe et trompe, voilà leur consigne, qu’ils appliquent. « Applique et complique. »
Sans doute beaucoup d’hommes de par le monde, justement révoltés, s’agitent. De grandes opérations de soulèvement et de révolutions ont lieu en mainte région du globe, mais (étrange tout de même) après quelque temps elles avortent toutes immanquablement et le statu quo ante se rétablit, mystérieusement. Une explication dès lors s’impose. Ce n’étaient que des piriorévolutions sans rien de réel, pirio, piriopolitique. Et tout continue comme par-devant.
Henri Michaux, « Vents et poussières », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 205.
Comme il reçoit énormément d’imperceptibles, il irradie de l’imperceptible, et sans fin, pour rien, pour personne, fait des variations.
Henri Michaux, « Face à ce qui se dérobe », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 881.
Pourquoi des conversations ? Pourquoi tant d’échanges de paroles des heures durant ? On revient s’appuyer sur un environnement proche et avec des proches s’entretenir de proches, afin d’oublier l’Univers, le trop éloignant Univers, comme aussi le trop gênant intérieur, pelote inextricable de l’intime qui n’a pas de forme.
Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1068.
L’homme est un être à freins. S’il en lâche un, il crie sa liberté (le pauvre !), cependant qu’il en tient cent autres bien en place.
Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 133.
Celui qui est le gauche de moi, qui jamais en ma vie n’a été le premier, qui toujours vécut en repli, et à présent seul me reste, ce placide, je ne cessais de tourner autour, ne finissant pas de l’observer avec surprise, moi, frère de Moi. Et toujours alentour, le paysage gelé, qui ne pouvait se ranimer, endormi dont je ne me serais jamais douté que c’était moi qui l’animais tellement, même lorsque j’étais, ainsi qu’il m’arrive, las et défait.
Comme on se trompe ! On se trompe toujours !
Henri Michaux, « Face à ce qui se dérobe », Œuvres complètes (3), Gallimard, pp. 858-859.
Telles sont les aventures sur place de celui qui les voit venir, avant qu’elles ne se produisent, la nature étant lente comme on le sait, si lente, si engoncée dans ses habitudes qu’on croirait presque à des lois.
Henri Michaux, « En marge d’En rêvant à des peintures énigmatiques », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 719.
Paresse : rêve sans fin qui rêve indérangée
la vie, parenthèse fluide
Alentour, projets, plans, départs,
Des édifices tombent, montent, remontent,
Paresse rêve
sur son puits qui s’approfondit
Henri Michaux, « Déplacements, dégagements », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1320.
Le continent de l’insatiable, tu y es. De cela au moins on ne te privera pas, même indigent.
Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1051.
Le monde du quelconque n’a pas cessé, n’a pu être dépassé.
Objets d’usage, dont on va changer l’usage, objets qui n’en restent pas moins objets…
Ils ont ici quitté leurs habitudes mais c’est pour entrer autrement dans l’habitude, la perpétuité du quotidien à jamais.
Inéloignables compagnons que partout on retrouve. Dieux lares devenus infirmes.
Henri Michaux, « En rêvant à partir de peintures énigmatiques », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 708.
Le Nombre augmente.
Uniformément l’œuf, par myriades, l’œuf, les sorties de l’œuf ; famille pour les besoins de l’œuf, famine pour les besoins de l’œuf, chaîne sans fin, manivelle venue des désirs. Que d’ovaires offerts de par le monde !
Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1182.
Pensant au rêveur de nuit, il ne faut pas oublier qu’il est infirme, un infirme qui, par sa vue absente, est coupé des spectacles, des avertissements nuancés, coupé des sens nobles, infirme par son impuissance à se déplacer, à pouvoir vérifier ; infirme au tableau de bord réduit, pour qui la réplétion de la vessie, le ballonnement du ventre, la congestion d’un membre ou la circulation empêchée dans un bras, ou dans une jambe repliée qui s’engourdit sont ses principales et imprécises informations. Phénomènes intempestifs qui vont se mêler trop souvent, et assez malheureusement, à ce qui n’a rien à voir avec ça.
Avec ces pauvres matériaux, il doit faire son monde. Embarrassant.
Henri Michaux, « Façons d’endormi, façons d’éveillé », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 511.
Combien souvent en ces heures interminables, quoique courtes en fait, de l’expérience du terrible décentrage, combien souvent n’a-t-il pas songé à ses frères, frères sans le savoir, frères de plus personne, dont le pareil désordre en plus enfoncé, plus sans espoir et tendant à l’irréversible, va durer des jours et des mois qui rejoignent des siècles, battus de contradictions, de tapes psychiques inconnues et des brisements d’un infini absurde dont ils ne peuvent rien tirer.
Il sait maintenant, en ayant été la proie et l’observateur, qu’il existe un fonctionnement mental autre, tout différent de l’habituel, mais fonctionnement tout de même. Il voit que la folie est un équilibre, une prodigieuse, prodigieusement difficile tentative pour s’allier à un état disloquant, désespérant, continuellement désastreux, avec lequel il faut, il faut bien que l’aliéné fasse ménage, affreux et innommable ménage.
Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 96.
Grands, anciens, constants sont les efforts de chacun pour dissimuler aux yeux des autres et oublier le dissimulé en sa propre mémoire. Et, sauf névrose, ou affaiblissement mental, généralement couronnés d’un succès appréciable, intéressant, rayonnant et moteur.
Henri Michaux, « Façons d’endormi, façons d’éveillé », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 513.