Moi, pas inquiet, je continuais à « être ». Sans plus. C’était beaucoup.
Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 21.
Du temps passe, du temps que je ne remarque guère, dans la lourdeur… puis subitement, dans ce vague, je perçois une annonce perçante « bras droit ». Signal clair, sur quoi on ne peut se méprendre. Il me faut y aller voir. Je me redresse pour inspection. Un os, un os hors de son trajet, comme à l’aventure paraît vouloir sortir du bras, poussant en biais vers où il n’a que faire et que ma peau tendue retient. Mauvais ! Le pied droit enflé comme une dame-jeanne. Mauvais aussi ! Cela ne saurait s’arranger tout seul, ni par moi au pauvre savoir. On va avoir besoin d’autrui. Désagréable. Désagréable. Fin de l’espoir.
Henri Michaux, « Face à ce qui se dérobe », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 858.
Violemment agitées les cages, mais toujours des cages.
Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1182.
Peut-être, dans le noir de la nuit, après une journée décomposante, cela dit « tranquillise-toi, tu as encore une chambre ».
Henri Michaux, « Façons d’endormi, façons d’éveillé », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 469.
Feu. Feu. Feu incessamment répété.
Enfin s’interposant, la morphine place ses étouffoirs et je puis regagner ma coupole (si je puis dire) et un espace, libre de feu. Je m’y endors.
Réveil.
Le feu reprend.
Feu. Feu. Feu. Feu incessamment feu. Feu pour moi, pour moi tout seul brûlant.
Kermesse inepte qui veut qu’on s’intéresse à elle, quand moi je voudrais passer outre. Ainsi nous restons sans nous entendre, moi avec elle, criant comme une sourde.
Visite.
Paroles qui volent. Paroles qui veulent. Paroles qui ne peuvent me distraire des torrents de feu. Paroles qui dévalent… tandis que le feu, énorme feu… il faudrait ne pas participer. Oui, mais comment ?
Henri Michaux, « Face à ce qui se dérobe », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 863.
N’accepte pas les lieux communs, non parce que communs, mais parce qu’étrangers.
Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1062.
Comment viennent les mots ?
Comprendre est aussi une sensation
perdue
perdue
Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 53.
Le réel — le tenu pour réel, qui serait réel même pour un chien — manque en ce moment, continue à manquer par vagues.
Le mur sans sa nature de mur, c’est incroyablement éprouvant. Homme ou animal, on doit pouvoir compter sur les solides.
Henri Michaux, « Déplacements, dégagements », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1353.
Dans le visage un œil qui n’existe plus, comme bu par un buvard. Il en reste le pli. Œil qui a renoncé à être, ne trouvant au-dehors rien à sa convenance.
L’autre, fermé par une large et pesante paupière semble bien déterminé à ne pas se relever.
Un être a baissé ses volets.
Douloureuse, la bouche amère exprime assez que ce n’est pas pour rêver à des fleurs ou à des charmes que l’œil a été refermé si décisivement, ni pour contempler d’intéressantes constructions du subconscient, mais pour seulement rester cantonné en sa misère, à l’abri dans sa misère, où il y a annulation de tout, mélancolie exceptée.
Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1173.
Une demeure (cabane, chambre, terrier ou nid) n’est que la réalisation au-dehors de cette impression d’intérieur que l’on a de son propre corps.
Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 98.
Comme j’avais eu tort autrefois de chercher un dépassement en des lieux fermés, étroits, face à des objets, à des personnes, à des images du monde limité, dont, il est vrai, « cela » triomphait momentanément, et assez merveilleusement, les déboîtant parfois comiquement du carcan de leurs limites. Cependant les choses, leur massivité ainsi transfigurée, transcendée, toujours présentes, tendaient à revenir et, en effet, après peu, trop peu de temps, se reconstituaient avec leur épaisseur.
Le ciel, lui, est différent. Différent et supérieur.
Henri Michaux, « Les grandes épreuves de l’esprit et les innombrables petites », Œuvres complètes (3), Gallimard, pp. 378-379.
Examinateur encore ignorant mais beaucoup moins, il questionne. L’esprit du pardon, est-ce qu’il y songe ?
Des femmes qui s’ennuient viennent à lui. Ennui à soulever. Il sait ce qu’il y a dessous.
Henri Michaux, « Textes inédits autour du “Poltergeist” », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1037.
Quelque chose, quelque part diffère.
Henri Michaux, « Les grandes épreuves de l’esprit et les innombrables petites », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 362.
Le don de soi est le secret pour traverser l’affolant.
Henri Michaux, « Les grandes épreuves de l’esprit et les innombrables petites », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 420.
Mais le mal répondait, il répondait comme le mal, d’une voix tonitruante qui n’écoute rien.
Le souffle, où était le souffle ?
Mon œuf seulement écoutait le monde. Seulement mon œuf absorbait encore le monde…
Henri Michaux, « Vents et poussières », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 172.