Rarissimes sont les écrivains qui ont ouvert ce que, faute de mieux, j’appellerai les yeux intérieurs, et qui se sont intéressés à l’immense fourmillement d’eux-mêmes, qui ont observé les mouvements et groupements de ces figures, émotives et intellectuelles, somatiques et organiques que sont les images.
Tous, nous avons connu des personnes qui excellent à dramatiser l’existence, qui éprouvent le besoin irrésistible de se passionner pour ou contre celui-ci ou celui-là, celle-ci ou celle-là, et qui ignorent les calmes joies de l’indifférence, au besoin cordiale. La puberté, et plus avant dans la vie, les poussées de l’instinct sexuel, grand fabricateur de figures internes développent étrangement le pathétisme. Il en est de même de l’abstinence, quand elle n’a pas de dérivatif artistique, littéraire ou mystique. Le jeune homme, la jeune fille sont enclins à considérer l’existence sous l’angle du drame perpétuel ainsi que les vieilles filles et les solitaires. Julien Sorel, la Cousine Bette, Don Quichotte, madame Bovary, monsieur Joyeuse, du Nabab, voilà de bonnes observations de « pathétiques ». Amusants dans les livres, ces types en proie aux images exaltées sont, dans la vie courante, fatigants, soit qu’ils demandent à l’amitié les transes et les gambades de la passion, soit qu’ils exigent des autres une participation continuelle à leurs antipathies et à leurs rancunes. Rapprochements, brouilles, réconciliations, rebrouilles, lettres de douze pages, scènes de colère, d’attendrissement…, les pathétiques sentimentaux ou sexuels excellent à ces exercices éliminatoires, qui donnent vite une courbature à leurs relations. Ils sont la plaie de leur entourage, de leurs ménages, de leurs voisins. Ils rentrent dans la catégorie qu’Alphonse Daudet appelait justement « les commères tragiques » .