œuvre : Nager vers la Norvège, Jérôme Leroy
aller

Il existe sans doute

un endroit où aller

— une chambre au-dessus d’une station-service

à la sortie de Lisbonne

une baraque de pêcheur sur un îlot baltique

qui n’intéresse personne

un motel sur le bord de la route qui va

de Phoenix à Tucson

un jardin de sous-préfecture au bout

d’une petite rue piétonne —

un endroit où aller

au milieu de nulle part

et qu’il faudra pourtant trouver

avant qu’il ne soit trop tard.

Jérôme Leroy, « Un endroit où aller », Nager vers la Norvège, La Table ronde, p. 113.

David Farreny, 17 déc. 2024
passer

Dans ces coins-là

on peut se passer des autres je t’assure

lui dit-elle yeux battus dans ce train régional

Je n’ai plus envie de parler à aucun d’eux

On pourrait si tu m’aimes descendre à la prochaine

gare On ne connaîtra absolument personne

On demandera dans un bistrot si quelqu’un loue

des chambres ou une maison Cela ne doit pas être

trop cher dans ces coins-là qui sont jolis pourtant

Quelques jours quelques semaines ou quelques mois

loin des autres

On lirait sur un banc bien exposé du square

il y a chaque fois un square dans ces coins-là

près du château ou bien derrière la mairie

avec une statue de gloire locale et le bruit

très lointain le soir du dernier train régional.

Jérôme Leroy, « Loin des autres », Nager vers la Norvège, La Table ronde, p. 17.

David Farreny, 17 déc. 2024
renforts

Il pleut sur Lucques

l’année qui commence ne lui dit rien

On fait les bagages

Il pleut sur Lucques

On ne voit plus les arbres au sommet

de la tour Guinigi

La via del Fosso est un couloir de brume

Les statues du palais Pfanner

ont mauvaise mine

On fait les bagages

Les Filles du feu une biographie de Sternberg

des poèmes de Frénaud

un roman de Daniel Fano

Il pleut sur Lucques

l’année qui commence ne lui dit rien

On fait les bagages

et il se demande quand

vont enfin se décider

à arriver les renforts.

Jérôme Leroy, « Quitter Lucques », Nager vers la Norvège, La Table ronde, p. 127.

David Farreny, 17 déc. 2024
vanishing

Cette petite ville sera parfaite

Il se sent sur le point de s’effacer

La tristesse le gomme

comme une élève soigneuse

Ce n’est pas désagréable

Il faut juste passer par les gorges serrées

de la mélancolie

Cette petite ville sera parfaite

Il repense au titre

de ce film de soixante-treize

Vanishing Point

C’est ça l’idée exacte

intraduisible évidemment

Cette petite ville sera parfaite

pour ça

Il verra bien

L’averse

sur le toit de l’Hôtel de France

ne s’arrête plus depuis des jours

La ville s’évanouit

Faire comme elle oui faire comme elle

Vanishing Point

Vanishing Point

et échapper

enfin

à ce tueur qui le suit depuis l’enfance.

Jérôme Leroy, « Petite ville sous la pluie », Nager vers la Norvège, La Table ronde, pp. 128-129.

David Farreny, 17 déc. 2024

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