Il existe sans doute
un endroit où aller
— une chambre au-dessus d’une station-service
à la sortie de Lisbonne
une baraque de pêcheur sur un îlot baltique
qui n’intéresse personne
un motel sur le bord de la route qui va
de Phoenix à Tucson
un jardin de sous-préfecture au bout
d’une petite rue piétonne —
un endroit où aller
au milieu de nulle part
et qu’il faudra pourtant trouver
avant qu’il ne soit trop tard.
Jérôme Leroy, « Un endroit où aller », Nager vers la Norvège, La Table ronde, p. 113.
Dans ces coins-là
on peut se passer des autres je t’assure
lui dit-elle yeux battus dans ce train régional
Je n’ai plus envie de parler à aucun d’eux
On pourrait si tu m’aimes descendre à la prochaine
gare On ne connaîtra absolument personne
On demandera dans un bistrot si quelqu’un loue
des chambres ou une maison Cela ne doit pas être
trop cher dans ces coins-là qui sont jolis pourtant
Quelques jours quelques semaines ou quelques mois
loin des autres
On lirait sur un banc bien exposé du square
il y a chaque fois un square dans ces coins-là
près du château ou bien derrière la mairie
avec une statue de gloire locale et le bruit
très lointain le soir du dernier train régional.
Jérôme Leroy, « Loin des autres », Nager vers la Norvège, La Table ronde, p. 17.
Il pleut sur Lucques
l’année qui commence ne lui dit rien
On fait les bagages
Il pleut sur Lucques
On ne voit plus les arbres au sommet
de la tour Guinigi
La via del Fosso est un couloir de brume
Les statues du palais Pfanner
ont mauvaise mine
On fait les bagages
Les Filles du feu une biographie de Sternberg
des poèmes de Frénaud
un roman de Daniel Fano
Il pleut sur Lucques
l’année qui commence ne lui dit rien
On fait les bagages
et il se demande quand
vont enfin se décider
à arriver les renforts.
Jérôme Leroy, « Quitter Lucques », Nager vers la Norvège, La Table ronde, p. 127.
Cette petite ville sera parfaite
Il se sent sur le point de s’effacer
La tristesse le gomme
comme une élève soigneuse
Ce n’est pas désagréable
Il faut juste passer par les gorges serrées
de la mélancolie
Cette petite ville sera parfaite
Il repense au titre
de ce film de soixante-treize
Vanishing Point
C’est ça l’idée exacte
intraduisible évidemment
Cette petite ville sera parfaite
pour ça
Il verra bien
L’averse
sur le toit de l’Hôtel de France
ne s’arrête plus depuis des jours
La ville s’évanouit
Faire comme elle oui faire comme elle
Vanishing Point
Vanishing Point
et échapper
enfin
à ce tueur qui le suit depuis l’enfance.
Jérôme Leroy, « Petite ville sous la pluie », Nager vers la Norvège, La Table ronde, pp. 128-129.