« Plongés dans leur univers habituel d'acier, de verre et de signaux, les visiteurs retrouvent aussitôt la démarche rapide, le regard fonctionnel et orienté qui correspondent à l'environnement proposé. » (M.H.)

« Moi, je ne sais pas ce qui se passe, je n’ai jamais su ce qui se passait. Certaines personnes, certains livres semblent le savoir, mais ces livres ne m’intéressent pas. Ils ont l’intérêt de la fiction, ils ont une intrigue. Mais je ne crois pas qu’il y ait d’intrigue. » (L.C.)

« À peine se familiarisait-on avec le décor que l’Europe a dressé, voilà un siècle, que l’acte est achevé. » (P.B.)

« Dans l’après-midi, je joue mon rôle d’emmerdeur de proximité en gueulant parce qu’une dizaine de jeunes cons, à deux pas de ma fenêtre ouverte, sur la terrasse immédiatement voisine de notre immeuble, organisent une petite fiesta sonorisée. Comme chaque fois que des jeunes sont quelque part, le vacarme le plus immonde les accompagne. Rock. Percussions. Musique : signe de leur rassemblement, de leur être-ensemble. Symptôme de leur impossibilité de se rencontrer réellement (« la vie quotidienne soumise au spectacle », écrit Debord, il faut la « comprendre comme une organisation systématique de la “défaillance de la faculté de rencontre”, et comme son remplacement par un fait hallucinatoire social : la fausse conscience de la rencontre, l’illusion de la rencontre »). Donc : Boûmm-Boûmm ! [...] Je m’éjecte de mon bureau, me penche à la fenêtre, leur demande de baisser cette saloperie. Un peu surpris, ils obtempèrent. Seulement voilà : sans musique, est-ce qu’ils existent encore ? Est-ce que leur vide est peuplé ? Non. Ils finissent donc très vite par s’en aller. » (P.M., 29 mai 1994)

« Armande avait beaucoup de traits de caractères fâcheux, pas si rares à vrai dire, qu’il acceptait en bloc comme les clés absurdes d’une ingénieuse devinette. » (V.N.)

« Accuser l’aphorisme de n’exprimer qu’une part de vérité revient à supposer que le discours prolixe peut l’exprimer toute entière. » (N.G.D.)

« Si grands nécromants que soient mes voisins, ils n’ont jamais pu s’entendre avec le soleil qu’ils ont en horreur. » (N.B.)

« La base sémantique du concept exprimé par rex et par les mots qui s’y rattachent, rego, regere, regnum, reg-ina, évoque d’abord l’idée d’une direction assurée en ligne droite, reg-ula. Une liaison fondamentale apparaît donc entre l’exercice de pouvoirs politiques et religieux, et l’organisation de l’espace. La mission première du roi est moins de commander des forces politiques et militaires que de fixer des règles, de déterminer au sens propre ce qui est droit. Droit comme une ligne que l’on trace. La droite est ainsi d’abord une notion matérielle, puis morale. La reg-ula est l’instrument qui permet de la tracer, puis la norme, la règle. Toute une structure de pensée se révèle ainsi autour de l’institution monarchique, dans une opposition entre ce que le rex a défini comme rectus, comme droit, donc comme juste et conforme à la règle, et ce qui est tordu, courbé, perfide et mensonger. Il faut donc partir de la notion matérielle d’un homme qui définit des lignes, délimitant ainsi des zones, pour comprendre toute la richesse de la notion indo-européenne de royauté, et pour saisir l’application qu’en ont faite les Romains. » (M.M.)

« Une maison dont la façade est au nord. » (S.S.)

« Sur cette page, il voit un tableau où sont classées les drogues dangereuses en trois colonnes : Interdit (cocaïne), Passable (alcool), Bravo (sport). Le commentaire n’est pourtant pas tendre : “La pratique outrance de sport obvie la croissance des jeunes, défonce tes circuits, écrase drastiquement l’espérance de longévité”, dit ce texte dont l’original en allemand est traduit au fur et à mesure par Google, en fait, c’est du Bertolt Brecht vulgarisé. » (E.P.)

« trudging back over pebbles and sand
and a strange dust lands on your hands
(and on your face)
(on your face)
(on your face)
(on your face…) »

(M.)

« Si la cambuse est spacieuse, c’est que les quatre cinquièmes (sinon les dix-neuf vingtièmes, — comment chiffrer cela au plus près… ?) sont du pur espace, c’est pour la respiration, mais aussi pour le vide et la vacance, pour la disponibilité, pour la jachère mentale. » (L.S.)

« Mais y a-t-il encore des voyageurs, des pas
dans le sable, des touristes dévorés par des squales,
des îles ovipares où pousse l’ancolie,
des bateaux échoués sur des lithographies ? »
(B.F.)

« Une vache ne se mord jamais la queue.
Une vache se borne au fini, à l’insistant et chatoyant fini.
Elles auraient pu au moins nommer la couleur verte. »
(F.B.)

« À midi, tous les volets étaient rabattus, comme si l’obscurité était retombée, qu’on eût regardé un négatif grandeur nature de la ville annuitée. » (P.B.)

Driving in this street one winter evening, I saw someone dead being furtively carried out of a building on a stretcher. I think I stupidly hadn't fully realized until then that one could still die at home rather than at the hospital.

« J’habite à Blège, m’a-t-il dit, à quinze kilomètres d’ici. Je suis en vacances mais je ne pars pas. » (C.O.)

« Ennio Flaiano rencontre dans la rue, un jour de 1946, le peintre Mino Maccari, sombre et attristé, qui lui confie : Ho pocho idee, ma confuse — “j’ai peu d’idées, mais confuses”. » (G.P.)

« Il y avait infiniment à faire mais c’étaient des choses précises, successives, qui ne réclamaient que du temps, les outils adéquats, une quantité déterminée d’énergie et pour lesquelles il existait a priori une solution. » (P.B.)

« Suspension de l’horaire. La mort ne retrouvera nulle part ces heures qui lui furent signalées. » (G.P.)

« On peut se contenter de subir, de réagir instinctivement, fuir les aires maléficiées, rechercher les sources de quiétude, ainsi que fait, sans balancer, sans phrase ni pensée, tout ce qui vit. » (P.B.)

« Les domestiques m’ont toujours été terriblement pénibles. Quand j’en vois un le désespoir m’envahit. Il me semble que c’est moi le domestique. Plus il est plat, plus il m’aplatit. » (H.M.)

« Quand on a expédié une lettre à laquelle on a confié ses pensées, on se sent l’esprit satisfait, même si l’on songe qu’elle pourrait bien ne jamais arriver à destination. » (S.S.)

« Pour découvrir l’immense panorama il fallait aller sur le balcon, et toute la vallée se déployait alors. » (G.-A.G.)

« Murs intranquilles, portant le poids d’images si enfoncées dans leurs cadres proliférants qu’on a l’impression de ne jamais parvenir à les atteindre. » (P.J.)

« Les façades sont vides, l’espace est creux, plus d’épaisseur et plus de mystère. » (P.J.)

« Bref il convient de ne pas délaver au point qu’il n’y ait plus que de l’eau. » (A.É.)

« Le passé ne nous était d’aucun secours, d’aucune ressource. Il était devenu irréel, incroyable. » (C.D.)

« Je n’avance que d’une page et demie parce que j’évolue dans l’abstraction, l’univers raréfié des catégories. » (P.B.)

« Mais qu’est-ce que cette sagesse, sinon l’usure de nos sentiments, et le refroidissement de notre ferveur ? La présence en nous d’une plus grande quantité de la sottise du monde (nous en absorbons un peu plus chaque année, sans doute) et l’acquisition de ce fonds d’indifférence, qui n’est qu’un fonds d’imbécillité ? » (V.L.)

« Du haut du Chrysler Building, les docks comme des arêtes de hareng latérales. » (P.M.)

« De plus, ce jour-ci, elle portait sa robe rouge, celle aux points noirs ; qui laissait voir son intéressante silhouette grande et maigre ; et c’était de nouveau à mon tour de raconter une histoire, si bien que malgré l’intimité de notre petit cénacle — la plupart du temps nous étions seuls — j’étais, comme toujours, terriblement gêné ; it’s puzzling work, talking is. » (A.S.)

« Je veille, et je ne sais pas sur quoi je veille. » (R.C.)